Monsieur B....
".... vous allez jouer seul contre lui ! Vous seul contre Czentovic ! "
Un fait surprenant se produisit alors. L’étranger, qui était resté bizarrement absorbé par l’échiquier déjà débarrassé, sursauta en sentant tous les yeux fixés sur lui, et en s’entendant interpeller avec un tel enthousiasme. Son visage parut troublé.
" Jamais de la vie, messieurs, bégaya-t-il, visiblement confus. C’est tout à fait impossible… je ne saurais entrer en considération… il y a vingt ou vingt-cinq ans que je n’ai pas vu d’échiquier… je suis intervenu dans votre jeu sans votre permission, et je m’aperçois maintenant seulement combien c’était déplacé de ma part… veuillez excuser un importun… qui ne recommencera pas, je vous assure. "
Et, avant que nous fussions remis de notre surprise, il avait quitté la pièce.
J’eus vite fait de le retrouver, sur le pont où il s’était réfugié sans tarder. Il lisait, étendu sur sa chaise longue. Avant de l’aborder, je le considérai longuement. Sa tête anguleuse s’appuyait aux coussins dans une pose un peu lasse, et l’étonnante pâleur de ce visage relativement jeune me frappa de nouveau. Ses cheveux étaient tout blancs : j’avais, je ne sais pourquoi, l’impression que cet homme avait vieilli prématurément.
Il se leva avec courtoisie lorsque je m’approchai de lui et se présenta.
[...]
D’un geste, il m’avait invité à m’asseoir sur la chaise longue à côté de la sienne. J’acceptai de bon cœur.
Nous étions seuls. M. B… ôta ses lunettes, les posa et commença :
( à suivre)